Épices et littératures

L'histoire des épices est toute de « bruit et de fureur ». Pendant des siècles, les pays occidentaux s’affrontèrent pour s’en arroger le monopole : les Hollandais, par exemple, n’hésitaient pas à exécuter quiconque tentait de quitter les îles Moluques en emportant des plants de muscadier ou de giroflier. Les épices ont longtemps alimenté les fantasmes occidentaux car elles étaient issues de cet Orient mystérieux, méconnu et lointain, auréolé de magie. Leur rareté et la difficulté de leur acheminement les rendaient d’autant plus convoitées et précieuses. De plus, elles étaient prisées pour leur valeur culinaire mais aussi thérapeutique, leurs pigments servaient même à élaborer des teintures.

pays1

Les épices ont fait partie du quotidien des hommes depuis l’antiquité et les textes littéraires les plus anciens y font référence, ainsi dans le chant 12 de l’Iliade, sont mentionnées des « prairies de safran ». De même, les premiers manuscrits constituant la base des contes des Mille et Une Nuits , vraisemblablement d’origine indo-persanne, font largement référence à l’emploi des épices les plus diverses dans la vie quotidienne. Dans la traduction d’Antoine Galland, datant de la fin du 17°siècle et du début du 18°siècle, on trouve, par exemple, l’histoire de trois calenders, dans laquelle une dame, accompagnée de son porteur, se rend « {…}chez un droguiste, où elle se fournit de toutes sortes d’eaux de senteur, de clous de girofle, de muscade, de poivre gingembre {…}et de plusieurs épiceries des Indes ». Plus loin, il est fait mention d’« un lieu vaste, bien voûté, et dont le pavé était parsemé de safran » et d’une « auge remplie d’orge mondé et de sésame »

pays14

Lors de son premier voyage, Sindbad, le marin, emporte sur son vaisseau en partance de l’île du roi Mirhage, du « camphre, de la muscade, du clou de girofle, du poivre et du gingembre » Dans son quatrième voyage, Sindbad a fait naufrage sur une île où il rencontre des « gens occupés à cueillir du poivre, dont il y avait une grande abondance. Il ramènera du poivre à Bagdad, via Balsora (actuelle Bassorah), et réalisera un gros bénéfice en le vendant. Lors de son sixième voyage, il découvre les richesses de l’île de Serendib qui n’est autre que le Sri Lanka. Dans l’histoire que raconta le marchand chrétien, le sésame s’échange au marché « cent dragmes d’argent la grande mesure », ce qui est considérable. Dans l’histoire du sixième frère, Shacabac, convié au festin imaginaire de Barmécide, s’émerveille d’un ragoût dans lequel il sent « à la fois l’ambre, le clou de girofle, la muscade, le gingembre, le poivre et les herbes les plus odorantes »

pays-noixclous

En France, au Moyen Age, les épices étaient également largement employées dans la cuisine des seigneurs, non pas, comme on le croit encore de nos jours, pour masquer le goût de mets avariés mais bien pour rehausser la saveur des plats. Ainsi Taillevent, célèbre cuisinier du futur Charles V, auquel on doit un des premiers traités de cuisine en occident, employait le safran, la cannelle et le gingembre pour accompagner gibiers et volailles, entre autres.

pays-cannelle

Au 19°siècle, nous trouvons une relation plus improbable entre les épices et la littérature dans l’usage immodéré du laudanum par certains des plus grands écrivains de ce siècle : en effet, la cannelle et le safran entrent dans la composition de ce breuvage à base de vin et d’opium. S’y adonnèrent, par exemple, Baudelaire, Coleridge, Lord Byron ou Thomas de Quincey, auteur des Confessions d’un opiomane anglais dans lesquelles il écrit : « à cette époque, je ne me fusse pas risqué à demander chaque jour, comme je le fis plus tard, « un verre de négus au laudanum chaud et sans sucre ». Cependant Baudelaire aimait également la bonne chère : il recommande un pâtissier à Vigny pourvu d’un estomac délicat (lettre de février 1862) et offre du pain d’épices à Sainte Beuve, en lui recommandant « le pain d’épices anglais, très épais, très noir, tellement serré qu’il n’a pas de trous ni de pores, très chargé d’anis et de gingembre (1° juillet 1860). Dans la littérature contemporaine, des pages superbes ont été écrites sur les épices, il suffit de se laisser porter du côté de la littérature anglo-indienne et du côté des Antilles, par exemple.

pays13

 

Plan du site